Laurent Le Forestier, personal e-mail to André Gaudreault, May 11, 2013.
TO: André GAUDREAULT <*****@*****.**>
FROM: Laurent Le Forestier <*****@*****.**>
CC: BCC: Subject: Re: Urgence […]
Quelques remarques, donc :
– l’adjectif « légendaire » accolé à Bazin me gêne. Il me semble que « mythique », ou quelque chose du genre, conviendrait mieux.
– plus important : pour moi, on ne peut parler « d’intégrité du réalisme ». Si l’intégrité est la qualité de ce qui demeure intact, alors on peut penser, avec Bazin, que le cinéma a pour mission de préserver l’intégrité du réel (il me semble que c’est ce qu’il dit, en substance), mais il n’y a lieu, en aucun cas, de fantasmer sur « l’intégrité du réalisme ».
– « il nomme cinéma total » : on peut faire crédit de beaucoup de choses à Bazin, mais pas d’avoir nommé cette idée. Le syntagme est – tu le sais – déjà le titre d’un livre de Barjavel que Bazin a lu, à l’évidence. Il lui emprunte donc la formule, sans le citer, comme il le fait souvent. Surtout, c’est une formulation typique de l’époque, très courante. C’est pourquoi il me semblerait plus juste d’écrire « ce qu’on nomme à l’époque cinéma total ».
– Je me demande dans quelle mesure la différence de formulation « le cinéma n’est pas encore inventé » (1958) / « l’invention du cinéma est seulement en cours » (1946) ne s’explique aussi par le changement de contexte. Comme je l’ai écrit dans mon HDR, en 1946, tout le monde en France est persuadé de l’imminence de changements radicaux dans les caractéristiques techniques du médium cinéma : la couleur et le relief sont pour demain. Tous les penseurs français l’écrivent, et pas que Bazin : L’Herbier, Grémillon, etc. Or, en 1958, Bazin ne peut que constater que la couleur, en France, n’est pas encore généralisée (et rien ne permet alors de dire que ce sera prochainement le cas), tandis que la première grosse vague de relief (les films US des années 52-53) a été un échec qui parait avoir durablement hypothéqué l’idée du relief. Il y a une sorte de reflux de l’idée de cinéma total, dont la différence de formulation me semble témoigner.
– un peu surpris par votre bazinisme presque final (« nous le pensons »). D’autant que ce qui conclut le passage ne va pas exactement dans le sens de Bazin…
Voilà. Quelques bricoles, mais pas grand-chose…
Amitiés,
Laurent